Je n’ai pas l’habitude d’exposer publiquement ma vie privée.
Cependant, lorsqu’en novembre 2010, j’ai quitté mon ex-mari avec mon fils aîné âgé de 10 mois et enceinte de 5 mois du second, je suis passée par toutes les nuances de l’inquiétude et du vertige que je lis sous la plume de certaines d’entre vous. À cette époque, les mots des autres aggravaient plus le mal qu’ils ne soulageaient mes appréhensions. J’avais la conviction que j’avais pris la meilleure décision, mais j’aurais rêvé d’avoir une boule de cristal pour connaître la suite des événements.
Alors voici ce que je vous propose: vous raconter ce que, 8 ans après, je suis parvenue à réaliser seule, pour vous montrer que c’est possible et rendre confiance à celles qui doutent et se découragent.
J’avais validé mon M1 de philo en 2009 (et obtenu une équivalence de L3 en lettres modernes en 2008) . En 2010, quand a débuté ma vie de maman solo, je n’avais pas le permis, pas un sou, un bébé qui ne marchait pas, un autre minuscule qui allait arriver.
Pendant 6 mois après ma séparation, j’ai logé en CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) pour régler tous les problèmes administratifs, médicaux, matériels, juridiques de notre nouvelle vie. J’ai accepté ou sollicité l’aide de toutes sortes de professionnels: psychologues, TISF, avocate, PMI, assistante en économie sociale et familiale, etc. Il ne faut pas hésiter à les solliciter, c’est leur métier et c’est notre droit d’être aidées quand nous sommes vulnérables.
En 2011, j’ai repris le chemin de l’université. Les bébés allaient à la crèche, je montais dans le car, quittais ma peau de maman pour endosser celle d’étudiante. Joie de renouer avec celle que j’avais été dans mes années d’insouciance et peur de ne plus être à la hauteur. Verdict: les neurones ne pâtissent pas de nos états d’âme ni du dénigrement d’un conjoint humiliant. À nous de ne pas le croire et de savoir qui nous étions avant lui et quelle femme nous sommes restée. Je me suis autorisée à prendre le temps dont j’avais besoin pour obtenir mon M2, ce qui a été fait en 2013: faire un mémoire sur Platon avec des bébés était…épique! Il faut s’accorder le temps nécessaire, sans culpabiliser tant qu’on fait de son mieux.
Cette année là, j’ai été admissible au CAPES de philo et ai enseigné 3 mois.
C’était infernal. Les enfants étaient tout petits et je rentrais épuisée. J’ai donc renoncé à me présenter à l’oral en juin pour me réorienter vers un métier où je pourrais me consacrer à mes enfants en rentrant. Passer de vrais week-ends. Je ne voulais pas faire de choix par défaut. Je devais aussi prendre en compte mes nouvelles fonctions de chef de famille. Il me fallait trouver un compromis épanouissant et responsable.
J’ai refusé de prendre des décisions dans l’urgence de la précarité en imaginant à quoi je voulais que ma vie ressemble dans 10 ans.
J’ai donc pris le temps de chercher ma voie en postulant pour faire des PMSMP dans des entreprises. En 2 ans, des expériences en RH et communication dans 8 entreprises différentes m’ont permis de constater que le secteur privé n’était pas toujours idéal pour équilibrer vie pro et vie perso. L’herbe n’était en tous cas pas moins verte dans l’éducation nationale.
J’ai passé le code et le permis en 2014. Des aides de pôle emploi, un prêt à 1€/jour pour la conduite, un crédit solidaire des restos du coeur pour l’achat d’une voiture, etc… En cherchant, j’ai toujours trouvé les solutions appropriées au bon moment et des personnes (pros) de bon conseil. La formule « qui cherche trouve » ne s’est pas démentie.
Je suis donc retournée à l’enseignement en 2016, louvoyant entre lettres et philo au gré des affectations par le rectorat .
Des débuts parfois compliqués. Mais les enfants ayant grandi, ils devenaient plus compréhensifs quand je devais m’atteler à la tâche. Ils sont devenus très autonomes et même serviables. On a formé une équipe. Ils ont partagé fièrement les réussites : un resto quand le salaire tombe, un week-end à la mer quand on a passé les examens importants… On a appris ensemble à faire des conquêtes, comme de certaines défaites, une fête. « If life gives you lemons, make limonade » était -ironie du sort- la devise de mon ex!
3 ans après, j’ai acquis assez d’ancienneté pour me présenter au CAPES interne de lettres modernes. Résultats tombés mi-avril dernier: je suis admise. Je suis même arrivée à la deuxième place. 😮
Pendant 8 ans, le père de mes enfants n’a eu que des droits de visite médiatisée. Il s’est montré très irrégulier. Il ne peut les voir une journée par mois que depuis février 2018. Et il ne paie que très partiellement une petite pension alimentaire.
Donc j’ai tout géré seule.
J’ai été entourée par ce généreux état français (aucune ironie là-dedans) et un entourage qui s’est retissé au fil des années. Reprenons contact avec nos anciens amis une fois que ça va mieux. Ils nous aiment secrètement mais n’osent plus demander des nouvelles. Ça a pris 6 ans pour que je renoue vraiment avec tout le monde… et pour cesser de me regarder le nombril, conséquence inéluctable de la souffrance (je ne la nie pas). Patience!
Les filles, regardons l’avenir avec amour et confiance.
Laissons la rumination derrière nous. Remercions (le Ciel, la vie, vos parents, qui vous voulez!) pour ce qui va. Ne disons pas de mal mais soyons vraies et justes. Pas de victimisation pour soi-même, ni de compassion excessive pour les personnes toxiques. On s’en écarte, on s’en protège, on pose un cadre juridique et on le respecte rigoureusement pour le bien des enfants et le nôtre.
Osons demander de l’aide aux bonnes personnes quand il le faut. Sans tomber dans la plainte. N’ayons pas honte de recourir aux aides et associations caritatives quand notre budget flirte avec la ligne rouge. J’habille (plutôt très bien) ma famille à la braderie du secours populaire. J’ai parfois dû faire appel à la banque alimentaire, et quelques années aussi aux restos du coeur. Soit. On n’en meurt pas. On y laisse probablement un peu d’orgueil et ça ne fait pas de mal.
Et puis aimons-nous bien nous-mêmes.
Sans devenir égocentriques: prenons soin de nous, de notre intériorité comme de notre apparence. Enrayons la course de la culpabilité, sachons nous offrir des fleurs (2€ le bouquet de petites roses ou tulipes chez lidl) et de vraies pauses (sur le temps d’activite des enfants, par exemple, ou quand le papa les prend). Sachons nous arrêter quand on est au bord de l’implosion. Offrons aux enfants un cadre stable et sécurisant. Ne jalousons pas les autres, les familles « bien comme il faut »: chacun a sa dose de malheur. Pas de comparaison. Il y a du bonheur dans notre situation aussi. Carpe diem.💋
Merci à celles qui ont eu le courage de lire jusqu’ici. Haut jolis les coeurs!